Marianne LOIR, "Portrait de Gabrielle Emilie Le Tonnelier de Breteuil, Marquise du Châtelet"

(Paris (?), vers 1715 –  ?, après 1769)

Portrait de Gabrielle Emilie Le Tonnelier de Breteuil, Marquise du Châtelet.

Huile sur toile.
Hauteur 118 cm. Largeur 96 cm.
Historique : Envoi de l’Etat, 1803.

La Marquise du Châtelet (Paris, 1706 - Lunéville, 1749), célèbre à son époque pour son érudition et son intelligence, l'est surtout aujourd'hui pour avoir été l'amie de Voltaire qu'elle héberge dix ans à Cirey. Elle est l'auteur d'ouvrages scientifiques Institutions de physique (1740), Discours sur la nature et la propagation du feu (1744), une traduction commentée des Principes mathématiques de Newton (éd. Posthume) et un ouvrage littéraire philosophique, Discours sur le bonheur, (1749).
Ce tableau a bénéficié d'une étude remarquable, écrite par G. Le Coat et A. Eggimaun-Besançon (1986). Grâce à des lectures iconographiques, biographiques et littéraires, les deux auteurs décryptent les circonstances et la date de cette œuvre et lui donnent une valeur emblématique. Par rapport aux autres portraits de la Marquise sans emblème, connus surtout par les gravures où elle est représentée comme une femme d'un certain âge, sans signe de coquetterie (bijoux, fleurs...), les portraits avec emblèmes comme le nôtre (cf. aussi celui de Nattier, 1743, non localisé, ou celui de Largilière, 1740, Colombus Museum of Art), se réfèrent à ses activités scientifiques, compas, globe terrestre, livres mais aussi à sa féminité, œillet, bijoux, toilette sophistiquée, et font ainsi exister l'intellectuelle et la séductrice. L'œillet symbole "de l'amour qui engage la chair" est tenu dans la main gauche, celle du cœur alors que le compas dans la main droite, intellectuelle, est en même temps un symbole mathématique et une idée de contrôle de soi ; faire quelque chose "sans compas" signifie au 18ème siècle "agir à tord et à travers". Les deux emblèmes sont en balance ; l'œillet est mis en évidence, éclairé, au centre de la composition alors que le compas est en bas de l'espace dans l'ombre. Cette femme mûre donne une priorité au sensuel sur l'intellectuel. Les dernières années de sa vie le démontrent avec sa liaison passionnée avec le jeune Saint-Lambert. En 1748, Voltaire écrit à son rival heureux une épître qui peut servir de commentaire au tableau :

"Elle a laissé là son compas,
Et ses calculs et la lunette,
Elle reprend tous ses appâts ;
Porte-lui vite sa toilette
Ces fleurs qui naissent sous tes pas...".

A la même époque, en 1749, elle écrit le Discours sur le bonheur dans lequel elle soutient que l'intellectuel est aussi bien l'apanage des femmes que des hommes, mais que la recherche du bonheur passe par la volupté amoureuse. Pour Gabrielle-Emilie l'étude et l'amour sont complémentaires : une intellectuelle ne cesse pas d'être une femme ; il faut rester en contact avec l'étude dont on ne peut être abandonné ; à cause de la précarité de l'amour, l'étude est bien "celle qui de toutes les passions contribue le plus à notre bonheur".
Marianne Loir en tant que femme "active" ne pouvait qu'adhérer à ce genre de portrait; on reconnaît volontiers son style, proche de celui de Pierre Gobert (1662-1774), dans le caractère statique et les visages toujours souriants. Elle est aussi proche de Nattier avec une "palette privilégiant le gris-perle, le vert la rose et le bleu et ses costumes historiés".

 

Image de "Portrait de Gabrielle Emilie Le Tonnelier de Breteuil, Marquise de Châtelet"© Musée des Beaux-Arts-mairie de Bordeaux. Cliché L. Gauthier

"Portrait de Gabrielle Emilie Le Tonnelier de Breteuil, Marquise de Châtelet"© Musée des Beaux-Arts-mairie de Bordeaux. Cliché L. Gauthier