Achat de la Ville : Albert Besnard - Chasseur dans un paysage lacustre
Albert Besnard (Paris 1849-1934)
Chasseur dans un paysage lacustre
1917
huile sur toile
H. 204,7 cm L. 126,3cm
Historique : Collection privée d’un historien de l’art parisien. Achat de la Ville.
La notoriété d’Albert Besnard aujourd’hui ne reflète guère la gloire dont il a été couvert tout au long de sa carrière. Il a suivi un parcours exemplaire qui l’a mené de l’Ecole des Beaux-Arts à l’Académie française en passant par la villa Médicis. Albert Besnard a accumulé les récompenses, les charges et les honneurs. Le peintre se forme dans l’atelier de Cabanel et obtient, en 1874, le Grand Prix de Rome. Après un séjour de quatre ans à Rome, il s’installe à Londres avec sa femme, la sculptrice Charlotte Dubray. Ce séjour anglais est déterminant pour l’évolution de son style. Au contact de la peinture préraphaélite, sa palette devient plus vive ; ses sujets plus allégoriques. De retour à Paris, Besnard attire la critique, et une nouvelle clientèle, par ses audaces picturales synthétisées. En 1886, il fait l’acquisition d’une propriété à Talloires, où il fait construire une villa. Le Lac d’Annecy servira à plusieurs reprises de toile de fond à ses grands décors. Albert Besnard reçoit en effet de nombreuses commandes pour décorer des édifices privés comme publics, notamment à Paris. La réputation de Besnard décorateur sous la IIIe République égale celle de Puvis de Chavannes à qui il est souvent comparé. Tous deux manient habilement le langage de l’allégorie et de la mythologie.
Albert Besnard, Chasseur dans un paysage lacustre © Musée des Beaux- Arts
Cette nouvelle acquisition représente un jeune homme nu s’élançant à la poursuite d’un cerf dans un paysage lacustre et montagneux. Le personnage au corps d’athlète brandit un arc en direction de la bête qui s’enfuit vers l’eau. Cette composition a des résonances mythologiques : pourrait-il s’agir du malheureux Actéon sur le point de découvrir Diane au bain ? Ou bien Hercule avant ou après la chasse des oiseaux du lac Stymphale ? La figure d’Hercule est en effet convoquée tant par le contexte lacustre que l’utilisation de l’arc par le jeune homme. En 1909, Antoine Bourdelle avait eu un immense succès avec la sculpture de l’Hérakles archer, que Besnard appréciait sans doute. On sait que les deux artistes se côtoyaient puisque c’est à Bourdelle que Besnard fait appel pour sculpter le pommeau de son épée d’académicien en 1926. Cependant, sur la toile, l’homme n’a pas la massivité, la puissance contenue et l’audace de l’athlète sculpté. Besnard place son chasseur dans une position instable, sur le point de perdre l’équilibre. À l’inverse de l’Hercule de Bourdelle, il n’est pas tendu vers le haut, mais vers le bas, dans une ligne oblique qui mène au cerf en contrebas. Juché sur la pointe des pieds, le jeune homme semble avoir la légèreté d’un danseur, tandis que la finesse et le modelé de son corps rappellent davantage les représentations classiques d’Apollon que les inspirations archaïques de Bourdelle.
Émile-Antoine Bourdelle, Héraklès tue les oiseaux du lac Stymphale, 1909, Paris, musée d'Orsay
Les lignes de force de la composition convergent toutes vers ce point d’équilibre indiqué par l’extrémité de la flèche du chasseur. L’instabilité de la position du jeune homme, sa nudité et sa faible emprise sur la toile contrastent avec l’immensité du paysage rocheux et du ciel qui s’étendent sur l’ensemble du tableau. Le format imposant et la verticalité du motif confèrent à ce paysage une grande puissance. Une même touche très fluide décrit les multiples nuages comme les anfractuosités de la roche dans une infinité de roses et de bleus issus d’une palette très délicate. Au centre de la composition, l’ombre bleue de la montagne irradie d’une lumière onirique et reflète comme une pyramide inversée le promontoire rocheux du premier plan. Besnard révèle ici ses talents de coloriste et sa science de la composition à travers les différents plans qui se superposent, tout en se confondant par les tons harmonieux. Le format de l’œuvre tout comme son sujet incitent à penser qu’il s’agit peut-être d’une réflexion pour un décor.
Cette toile d’Albert Besnard vient s’insérer dans le parcours des œuvres autour du symbolisme et de la figure tutélaire d’Odilon Redon dont le musée des Beaux-Arts de Bordeaux possède un fonds important. L’œuvre de Besnard reflète en effet l’atmosphère onirique des visions fantasques de la fin du XIXe siècle et participe, au début du XXe siècle, à une forme de nostalgie de l’Antiquité que l’on décèle chez de nombreux artistes présents dans les collections, comme le Bordelais Jean Dupas