William BOUGUEREAU, Le Jour des morts

Wi l l i a m  B o u g u e r e a u
La Rochelle, vers 1825 – id., 1905
signé et daté en bas à droite : W. BOUGUEREAU 1859
 
William Bouguereau présenta au Salon de 1859 L’amour blessé, Le Portrait de madame Duret, peints en 1857, ainsi que Le Jour des morts. E. de Lépinois découvrant les œuvres rapporte ces propos : « M. Bougereau aime les contraires : nous avons de lui cette année, L’Amour blessé et le Jour des morts, les deux pôles de la vie. La beauté, la jeunesse, l’insouciance du printemps, tant de charme et de fraîcheur changés en sanglots en poignante tristesse. […] Voilà du réalisme que je comprends et qui me touche. » 
 
Le Jour des morts représente une mère et sa fille pleurant la perte d’un mari et d’un père au pied d’une croix tumulaire. L’artiste emploie le champ lexical de la mort avec le noir, les couronnes d’immortelles, la croix, l’hiver. Les critiques de l’époque saluèrent « la modernité du sujet » (Mathilde Stevens), traduite par une expression réaliste de la douleur et son humanité (Maxime Ducamp).
 
Théophile Gautier évoque l’œuvre en des termes élogieux : « Une veuve, belle encore, est agenouillée devant une tombe, elle lève les yeux vers le ciel, comme pour y chercher l’âme dont la dépouille gît sous la terre, un long regard résigné, tandis que sa jeune fille cache dans le sein maternel un visage noyé de larmes ; on ne les voit pas, ces larmes, mais on les devine ; les épaules pleurent, le flanc sanglote, et la douleur soulève convulsivement ce jeune corps sous la sombre livrée du deuil. Quel beau groupe à placer sur une tombe, on ferait de ce tableau sculpté en marbre ! Dans une œuvre de pur sentiment comme celle-ci, on oublie volontiers les détails techniques. Cependant, nous ferons remarquer avec quel art sont traitées ces étoffes noires qui absorbent les lumières et se modèlent si difficilement. Ces tristes robes ont toute la noblesse des draperies antiques. »
 
Peintre académique, l’artiste a reçu une éducation artistique solide qui lui a rendu familières les grandes compositions savamment ordonnées. Il a étudié la sculpture antique, les mosaïques byzantines et les fresques de Giotto à Rome. Il a compris les maîtres classiques de la Renaissance italienne, en les copiant et les a ensuite très largement imités avec la certitude de maintenir la tradition. Il a médité devant la statuaire grecque et devant les œuvres de Raphaël et son idéalisme. L’artiste a copié des œuvres du grand maître à Rome en 1852 ; et il y a observé et fidèlement imité les archaïsmes et le maniérisme du dessin sans tenter de donner aux personnages une allure plus naturelle. 
 
Pour servir cette volonté d’idéal, il se dote d’un style puisant dans la tradition et la recherche d’harmonie colorée et de poésie. Théophile Gautier remarqua d’ailleurs que « Les couronnes d’immortelles, dont le jaune funèbre dissone si cruellement aux yeux, ont perdu sous la brosse de M. Bougereau leur nuance indissociable et criarde ». 
 
Réfléchi et méthodique, Bougereau multiplie les dessins, les analyses de détails, les études de draperies et les recherches de composition. Ce processus lui donne la sûreté de la main et lui permet de laisser son inspiration se décanter. L’artiste travaille d’ailleurs sur plusieurs œuvres en même temps.
 
La position de la mère est identique à celle d’une femme représentée avec ses deux enfants dans un autre tableau intitulé L’Amour fraternel et datant de 1854.
 
Ici, il cherche simplement à exprimer, avec les moyens spécifiques de sa technique, des sujets de sensibilité universelle. Les glacis se limitent aux zones sombres comme les arrière-plans et les draperies, à l’opposé les tons des chairs sont bien marqués et leur aspect translucide est obtenu par un modelé très étudié et un rendu précis des valeurs et des tons.
 
Une partie de son œuvre est marquée par l’imagerie douceâtre et son art habile aux couleurs délicates et porcelainées plaisait à un large public. Mais d’aucuns n’ont voulu voir dans cette technique parfaite qu'un jeu trop habile du pinceau.
 
Le peintre renouvellera ce thème de la mort en 1877, après le décès de son épouse Nelly (le 3 avril 1877 à l'âge de quarante ans), puis celui de son cinquième enfant. Il peindra à leur mémoire son émouvante Vierge consolatrice.
 
Dans ses œuvres, Bouguereau, avec son aptitude à faire coïncider le rêve et la réalité, exprime les valeurs qui lui sont chères : la culture classique, le bonheur familial, l’espérance en la vie, la foi chrétienne. 
 
IB

 

William Bouguereau, Le Jour des morts, 1859

William Bouguereau, Le Jour des morts, 1859