Pierre Paul RUBENS, Le Miracle de saint Just
(Siegen, 1577 – Anvers, 1640)
Le Miracle de Saint Just
Vers 1629-1630
Huile sur toile
Hauteur 191 cm. Largeur 134 cm.
Historique : Don de Napoléon III à la Ville, 1853.
Balthazar I Moretus (1574-1641), propriétaire de la célèbre maison d’impression Officina Plantiniana, commanda ce tableau à son ami et confident Rubens vers 1629 pour les Annonciades d’Anvers, détentrices du crâne miraculeux de saint Just de Beauvais. Il était le syndic et le mécène de ce couvent dont la première pierre avait été posée par les archiducs Albert et Isabelle, et où sa cousine germaine Marguerite était la supérieure. Rubens collaborait avec l’imprimeur pour l’illustration de livres depuis 1609, donnant notamment plus de quarante frontispices, et avait peint pour la chapelle familiale la Résurrection (Anvers, cathédrale) en 1611-1612. De passage à Anvers en mai 1629, Rubens réalisa une esquisse (Budapest) avant de commencer l’œuvre. Il demanda à son atelier de la terminer car il retournait en mission diplomatique en Angleterre le 1er juin.
A la suppression des ordres par Joseph II d’Autriche en 1785, l’œuvre fut vendue à Bruxelles et arriva à Paris où Delacroix la vit et la copia chez un marchand en 1847. Six ans plus tard, Napoléon III l’acheta et l’offrit à la Ville de Bordeaux en échange d’un portrait de Rosalba Carriera.
Durant les persécutions de Dioclétien en IIIe siècle, Just, âgé de neuf ans, accompagna son père d’Auxerre à Amiens pour payer la rançon de son oncle emprisonné. Sur le chemin, l’enfant donna sa tunique à un pauvre et ne garda qu’une simple chemise. Après la libération de l’oncle, les trois hommes repartaient vers Auxerre lorsque, près de Beauvais, le proconsul Rictiovarus les fit poursuivre par quatre cavaliers. Just demanda alors à ses aînés de se cacher dans une grotte afin de rencontrer les soldats. Ne pouvant savoir où se trouvaient les deux chrétiens, l’un des poursuivants descendit de cheval et décapita le jeune garçon. Le corps de ce dernier se releva et s’immobilisa après avoir pris la tête entre ses mains (céphalophorie statique). Devant ses deux parents sortis de leur cachette, Just leur demanda de brûler son corps dans la grotte et d’apporter sa tête à sa mère.
Dans une composition simple, la scène au premier plan et la perspective fuyant sur la droite, Rubens réussit à contourner les difficultés de la représentation - un jeune garçon décapité, son corps mort mais sa tête encore animée et les yeux étincelants de vie – bien qu’il eût peint la tête tranchée de Méduse en 1617 (Vienne) et celle de Cyrus en 1618 (Boston) et en 1620-1625 (Paris). Il reprit l’attitude penchée du Sénèque (1612-1613, Munich) pour l’enfant et il conféra aussi un expressionnisme - peu habituel dans son œuvre avec la stupeur des deux chrétiens - que remarquèrent Reynolds en 1781 : « De ce sujet ingrat, Rubens a fait un excellent tableau, d’un dessin correct et colorié d’une manière plus pure que cela ne lui étoit ordinaire. La surprise de ces deux hommes est admirablement exprimée ; et l’union entre elles et le fonds est de la plus grande perfection » ; et surtout Delacroix : « 8 février (1847), lundi. Excellente journée. J’ai débuté par aller voir rue Taranne le tableau de saint Just de Rubens. Admirable peinture. Les deux figures des assistants, de son gros dessin, mais d’une franchise de clair-obscur et de couleur qui n’appartient qu’à l’homme qui ne cherche pas et qui a mis sous ses pieds les folles recherches et les exigences plus sottes encore ».