Jean-Faur COURREGE, "Vénus pleurant la mort d’Adonis"
(Paris, 1730 - Bordeaux, 1806)
Vénus pleurant la mort d’Adonis
Avant 1753
Huile sur toile. Hauteur. 130 cm. Largeur. 196 cm.
Historique : Salon de l’Académie de Saint-Luc, 1753, n° 213 ; ancienne collection Carraci, Bologne ; anciennes collections Ferrier, Dodd puis Cote, Montréal ; ancienne collection Keller, Westmount ; achat de la Ville avec la participation du F.R.A.M, 1991.
Sous le regard d’un chien caché dans l’ombre, sur la droite du tableau, Vénus découvre avec effroi le corps étendu et inanimé de son amant Adonis au cœur de la forêt. Aux pieds de celui-ci, gisent sa lance et son carquois. En arrière-plan, se tient le char de la déesse où l’attendent deux amours.
Le poète latin Ovide (43 av. J.-C.-17 ap. J.-C) raconte le mythe de Vénus et d’Adonis dans le Livre X de ses Métamorphoses. L’histoire de cet amour entre la déesse et un mortel se conclut tragiquement avec la mort accidentelle d’Adonis, tué par un sanglier qu’il avait blessé avec son épieu. Du sang d’Adonis, Vénus fit éclore une fleur : l’anémone.
Cet amour mythique donna lieu à des œuvres littéraires, en particulier L’Adone du Cavalier Marin (1569-1625), et à de nombreuses représentations du 16ème au 18ème siècle, tant en Italie (Jules Romain, Titien, Véronèse, Luca Cambiaso, L’Albane), en Flandres (Rubens et Van Thulden), qu’en Hollande (Bol, Holsteyn) et en France (La Hyre, Monier, Poussin, Vouet). Le Musée de Bordeaux possède d’ailleurs un Vénus et Adonis (vers 1760) du peintre allemand Zoffany. Ces artistes s’attachaient souvent à peindre le repos entre les deux amants ou bien Vénus empêchant Adonis de partir à la chasse, mais plus rarement la découverte du cadavre de l’amant. C’est ce thème que Courrège représente en suivant fidèlement le texte antique. Ainsi, Vénus apparaît désespérée, sautant de son char, sa robe relevée au-dessus des genoux pour chasser, mais aussi déchirée en signe de deuil. Elle contemple le cadavre d’Adonis allongé à ses pieds, en compagnie d’un amour qui pleure. Courrège revient ainsi au mythe ancestral d’Eros et Thanatos.
Le peintre place ses personnages au premier plan de sa composition en partie fermée par la végétation à droite, le char de la déesse et les nuages sur la gauche. La disposition de cette figuration rappelle implicitement une lamentation de la Vierge (Vénus) sur le Christ mort (Adonis), ou un saint Sébastien découvert par Irène. Cependant, Courrège s’inspire peut-être d’une gravure de Louis-Simon Lempereur d’après un tableau du Guerchin (1591-1666), et surement d’une estampe de Michel-Guillaume Aubert d’après François Boucher (1703-1770). Cependant, le peintre atténue le statisme des figures grâce à des drapés gonflés par le vent et par l’utilisation de plusieurs obliques : le corps d’Adonis, la lance, les bras de la déesse et de l’amour. La lumière accentue le drame en se focalisant sur le cadavre et révèle une gamme chromatique raffinée qui se détache sur un fond sombre.
On sait peu de choses sur la vie et la carrière de Jean Faur (ou Fort) Courrège qui signait aussi Courrèges, Corrège, et Corège. Il fut reçu à l’Académie de Saint-Luc le 5 mai 1753, avant de participer à quatre Salons (1753, 1756, 1762 et 1764) et d’y être nommé « adjoint à professeur » dix ans plus tard.
Il quitta définitivement Paris en 1771, auréolé du titre de « professeur à l’Académie de Saint-Luc », pour s’installer à Bordeaux où il fut intégré à la nouvelle Académie au mois d’août. A ce titre, il exposa aux Salons de 1771, 1774, 1776 et 1782 certaines œuvres déjà présentées à Paris. Avec ses collègues bordelais, il assura la charge de professeur pour l’étude d’après le modèle vivant. En 1792, il signa Un baptême du Christ destiné à la chapelle des Dominicains (actuelle église Notre-Dame). Cependant, sa carrière bordelaise ne connut pas le succès espéré.
La plupart des tableaux de Jean Courrège présentent une filiation avec Jean Restout (1692-1768), comme en témoignent L’Adoration du Sacré Cœur (1749, Tours, musée des Beaux-Arts). Cette Vénus pleurant la mort d’Adonis mais aussi Le Christ et la Samaritaine également présents dans nos collections sont une illustration de la période « baroque » de l’artiste.