La Femme et l'artiste : de Bellini à Picasso
Avant-propos du catalogue de l'exposition par M Jacques Chaban-Delmas, maire de Bordeaux, président de l'Assemblée nationale :
"Au cours des siècles, depuis les premières fouilles archéologiques jusqu'aux statuettes d'ivoire ou aux amulettes, la beauté féminine s'exprima à travers tous les arts, majeurs ou mineurs.
L'homme vivant dans les cavernes, aussi bien que Fra Angelico à l'ombre de son cloître, s'intéressa à la femme, qu'elle soit mère, épouse ou enfant.
Pour idéaliser une madone ou pour répondre à une commande, l'artiste se devait d'avoir un type féminin. Il en fît alors une idole : vierges ou bacchantes, saintes ou martyres, il lui arriva aussi de la reproduire, telle qu'elle s'offrait, au cours de la vie quotidienne.
Il est curieux d'ailleurs de constater que les artistes primitifs avaient une conception différente de celle de nos contemporains. Pour les premiers, la femme était objet de culte ou de respect et sa représentation était faite le plus souvent d'une prêtresse longuement vêtue plutôt que de certaine odalisque.
Ainsi donc, à travers plus de cinq siècles, sera-t-il intéressant de suivre l'évolution de la personnalité de la femme chez les hommes qui se sont voués à la chanter, et plus spécialement de Bellini à Picasso.
Parmi les cent cinquante chefs-d'œuvre rassemblés nous pourrons voir comment un peintre comme Cranach adopte un certain canon de la beauté, qu'elle soit Vénus, Bethsabée, Salomé ou Madone, alors que Rubens et Rembrandt retrouvent, sous les traits de leur seconde épouse, l'idéal féminin qu'ils avaient cru découvrir chez la première, tandis que les artistes antérieurs à la Renaissance s'intéressaient plus spécialement au reflet de leur âme, et qu'aux siècles suivants, Fragonard, Boucher ou Watteau ne retrouveront peut-être pas toujours les traits de leur idéal, alors qu'ils seront amenés à apprécier dans l'élégance du XVIIIe, le charme de la femme aimable, gracieuse, parée pour plaire, avant que le XIXe siècle ne la montre figée, sous un masque dû aux idées nouvelles ; elle ne sera plus alors un objet de vitrine, mais pressentira les responsabilités qui lui incomberont.
Ingres, David, Delacroix, la replaceront alors dans un nouveau concept : au rôle de bibelot, elle passera à celui d'égale de l'homme ; l'évolution du goût et de la mode se chargera d'ailleurs d'en expliquer sa métamorphose.
Et van Dongen, Modigliani ou Picasso sauront en suivre l'histoire avant même qu'un Christian Bérard ne lui fasse écourter les cheveux...
Créatures aux corps souples et libérés d'entraves, elles deviendront alors les êtres séduisants que nous admirons, après avoir été, dans le même siècle, les personnages charmants que Renoir, Manet ou Degas ont immortalisés."