Chefs-d'oeuvre de la peinture française dans les musées de l'Ermitage et de Moscou
Préface du catalogue de l'exposition par Jacques Chaban-Delmas, président de l'Assemblée nationale, maire de Bordeaux :
"Au bord de la Garonne, les façades de Louis ou de Gabriel émergeaient des perspectives de Tourny, au moment où, sur les rives de la Neva, Pierre le Grand jetait les fondements de Saint-Pétersbourg.
A la demande de souverains successifs, des architectes furent appelés à venir couvrir leur ville de palais et de demeures princières, tandis que les bruits des chantiers répondaient parfois à ceux de lointains combats.
C'est à la vision d'un monde meilleur rêvé par des monarques éclairés, tant en France que dans la grande Russie, que nous devons aujourd'hui d'admirer ces façades aux nobles harmonies.
Surmontant souvent des difficultés de toutes sortes, il se trouva près d'eux des hommes, confidents ou conseillers, pour mener à bien des projets somptuaires, tandis que des Académies se créaient, s'enrichissaient de tout ce que l'humanité produisait de meilleur dans le domaine des arts et des lettres. Des courriers pleins de promesses partaient de la capitale ou de Moscou, alors que les réponses parvenaient de Paris, dans le meilleur temps, amenant de France ou d'ailleurs, les collections ou les artistes eux-mêmes.
Nos ambassadeurs s'appelaient Montesquieu, Voltaire, Buffon, Diderot ou Grimm ; en apportant des idées nouvelles, ils devenaient les amis d'une grande nation.
Catherine II lisait l’Esprit des Lois dans le texte, s'en inspirait même. Voltaire était son maître dans l’art d'écrire ; Diderot et Grimm, ses marchands de tableaux : Grimm, lui-même se qualifiait de « brocanteur impérial ». Grâce à eux, des bateaux chargés d'œuvres d'art parvenaient dans le golfe de Finlande ; des toiles de Fragonard, de Boucher, de Watteau ou de Poussin étaient immédiatement transportées dans le futur Ermitage, destinées uniquement aux regards de privilégiés de l'entourage de l'Impératrice; plusieurs milliers de toiles, de dessins, ou de sculptures devaient ainsi, au cours des siècles, enrichir le patrimoine national de ce vaste pays.
Au lieu de regretter que tant de chefs-d'œuvre aient quitté la France, il convient peut-être de se réjouir du rayonnement que la culture française a pu exercer pendant plusieurs générations. Plus près de nous, au début du siècle, les Impressionnistes ou les peintres contemporains n'ont-ils pas été satisfaits de voir leurs toiles acquises par des amateurs éclairés, qui, peut-être sans le savoir, changèrent leur destinée d'artiste.
Comment ne pas se réjouir de voir revenir, sous le ciel de France, des œuvres qui y sont nées ; les Renoir, les Matisse ou les Picasso célèbres des Musées de Leningrad ou de Moscou ne sont-ils pas ainsi nos ambassadeurs permanents auprès d'un peuple ami ?
Grâce à de multiples dévouements et sur l'intervention personnelle du Ministre de la Culture en Union Soviétique, Mme Fourtseva, et de notre Ministre d'Etat, chargé des Affaires Culturelles, M. André Malraux, Bordeaux se réjouit, aujourd'hui, d'accueillir les Trésors du Musée de l'Ermitage et du Musée Pouchkine, avant que Paris ne leur fasse les honneurs du Palais du Louvre."