Manzù

Exposition du musée des Beaux-Arts de Bordeaux, présentée aile nord en avril 1969

Préface du catalogue de l'exposition par Gilberte Martin-Méry :

"Pour la première fois, Giacomo Manzù expose en France, événement dans le monde artistique dont peuvent s'honorer les Musées et la Ville de Bordeaux.
Vingt-six sculptures et trente dessins réunis par l'artiste, aidé de sa fidèle inspiratrice, son épouse Inge.
Les préfaces de P. H. Feist et S. Quasimodo révéleront plus loin quel tempérament peut avoir cet artiste lorsqu'il travaille en face de lui-même, de sa femme et de ses enfants ou du pape ; je dirai seulement combien j'ai admiré et compris son talent et comment prochainement entrera dans nos collections une œuvre d'un des plus grands sculpteurs de notre époque.
Dans le cadre de la basilique Saint-Pierre, j'avais certes admiré la cinquième porte, qui venait d'être livrée à la confrontation du temps, mais je ne connus vraiment Manzù que lors d'une de ses expositions à New York, où, loin de Rome, les projets, les esquisses, les dessins offraient la spontanéité du geste créateur.
A l'échelle humaine, l'artiste parlait de la vie et de la mort sans emphase, dans la simplicité de la ligne et de la forme, avec des éléments qui lui étaient propres.
Une intense spiritualité se dégageait de toutes les pièces présentées au regard du visiteur, entrant dans cette galerie avec souvent autant de curiosité que d'indifférence envers le Sacré.
Pour arriver à pareil dépouillement, il fallait avoir aimé et souffert. Je sus plus tard les difficultés rencontrées par l'artiste pour obtenir la commande de cette porte, mais j'appris aussi avec quel enthousiasme il travailla pour Jean XXIII. Rien ne permettait de penser que Manzù deviendrait le sculpteur « apprécié » du Vatican, lui qui ne croyait en rien et qui préférait traiter de l'arabesque d'une ballerine plutôt que de celle du geste bénissant.
L'honnêteté intellectuelle et le regard de Manzù plurent au Pape, les séances de pose se firent dans la sérénité et la confiance la plus totale; leurs personnalités s'affrontèrent dans l'humour et la franchise.
Devant la silhouette de son fameux Cardinal aujourd'hui dans un musée des Etats-Unis on peut comprendre le cheminement de la pensée de l'artiste.
Ayant eu l'immense privilège d'accueillir Jean XXIII à la Galerie des Beaux-Arts lorsqu'il était nonce apostolique en France, de lui rendre visite à Venise, puis d'être conduite dans sa bibliothèque par le Cardinal Richaud, je compris fort bien quelle amitié peu commune liait le sculpteur au chef de la chrétienté et à quelques-uns de ses amis, princes de l'Eglise.
Depuis la Renaissance, il n'y avait eu de Pontife plus proche des hommes de l'Art. A Venise, il avait visité maintes fois la Biennale, à Bordeaux, nos manifestations; lors de la fameuse préparation de l'exposition des Primitifs, il nous permit l'envoi de chefs-d'œuvre conservés dans les cathédrales ou les palais apostoliques les plus fermés. La réussite de ces démarches ne put se faire d'ailleurs que sous le signe de cette autre amitié, celle de Jean XXIII et du Cardinal Richaud, tous deux humanistes et hommes de grande culture.
L'intérêt que porta l'archevêque de Bordeaux à nos expositions devait être illustré un jour ou l'autre. En quelques années, les conceptions de la grandeur ont changé. Le temps des gisants n'est plus. La liturgie se dépouillant, l'art sacré n'existera bientôt plus que dans les musées. C'est à Manzù tout naturellement que nous demandons le buste ou le relief qui imprimera dans le bronze ou dans la pierre celui qui fit tant pour le renom de la vie artistique de notre cité."

Vue de l'exposition

Affiche de l'exposition "Manzu", 1969

Affiche de l'exposition "Manzu", 1969 © Documentation Musée des Beaux-Arts - Mairie de Bordeaux