Charles PORION, El Descanso (Moeurs à Valence)
Né à Amiens en 1814, Charles Porion vient étudier à Paris en 1834 et intègre l’atelier de Jean-Auguste-Dominique Ingres (1780-1867) avant de rejoindre Michel Martin Drolling (1786-1851) au départ de son premier maître en Italie. Inscrit à l’École des Beaux-Arts à partir de 1838, il remporte le second prix de Rome en 1840. Après un séjour de trois années en Italie, le comte de Noé, son protecteur, lui obtient la commande d’une copie du Saint Michel de Raphaël destiné à l’église de L’Isle-de-Noé dans le Gers. En 1844, grâce au général de Rumigny, il reçoit une nouvelle commande, le Portrait de la Reine Marie-Amélie. pour la mairie d’Amiens, sa ville natale.
Cette année-là, Charles Porion découvre l’Espagne qui deviendra sa plus grande source d’inspiration et débute au Salon avec un tableau intitulé Une Danse, souvenir d’Espagne ou Danseurs grenadins (Musée de Picardie, Amiens) qui lui vaut une médaille de troisième classe, la seule de toute sa carrière. Au premier plan, un couple de danseurs, situé sur une diagonale fortement éclairée conduit le regard du spectateur au bout de cet axe oblique où se trouve un deuxième couple composé d’un guitariste assis et d’une autre danseuse qui semble jouer des castagnettes derrière-lui. La danseuse du premier plan joue du tambourin et forme avec son partenaire un couple très pittoresque, à la fois par leurs attitudes très dynamiques et gracieuses, le croisement aguicheur des regards, le mouvement harmonieux de leurs bras levés et par leurs vêtements typiques aux couleurs vives et contrastées. Porion parvient à donner une saveur exotique, orientale à cette scène de danse en plein air et donne une vision enjolivée, idyllique mais non dénuée de caractères des coutumes des paysans de Grenade.
L’artiste est encouragé à traiter des sujets espagnols, voyage en Andalousie et se rend à Madrid. Les années suivantes, il présente régulièrement des scènes des coutumes andalouses ou valenciennes au Salon de 1845 (Jeune andalou dans la campagne de Grenade), de 1846 (Course de taureaux à Séville, Musée de Nîmes), de 1852 (Un Gitano, royaume de Valence), de 1857 (Un Valencien traversant une plaine sablonneuse pour se désaltérer ; El Descanso de Valence) et de 1866 (Un Bon andalou). Le musée de Saint-Omer possède également Danseurs à Grenade.
Sa peinture aux accents romantiques, sa manière ingresque, son talent de dessinateur attirent de nombreux clients. Reconnu pour la qualité d’exécution de ses dessins de chevaux, il excelle aussi dans l’art de mettre en scène les personnages et de rendre la particularité des traditions. L’artiste devient également un copiste de talent. Sa première grande reproduction, celle des Lances de Velázquez (308x369) commandée en 1849 pour 3500 francs, est achevée en 1850 et arrive à Paris en 1851 pour être ensuite envoyée au musée d’Angoulême.
L’artiste bénéficie du soutien de son parent, Louis Porion, maire d’Amiens (entre 1848 et 1858). Ce dernier intervient afin qu’il obtienne la commande d’une autre toile Les Buveurs, en 1850, (attribuée au musée départemental de Privas en 1853).
Recommandé par Ingres à Charles Blanc, alors directeur général des Beaux-Arts, Porion se voit confier la tâche de réaliser des copies en grand format des tableaux de Velázquez du musée du Prado, Christ en croix en 1853 (livrée en 1855), celle des Forges de Vulcain, (envoyée d’abord à Dijon, puis au musée des copies en 1872 et envoyée ensuite à Tournus en 1874), puis celle du Portrait équestre du duc d’Olivares (attribuée au musée de Laval) et enfin La Reddition de Breda (aujourd'hui au Musée des Beaux-Arts d'Angoulême).
Charles Blanc réalise son rêve déjà ancien de créer un musée des copies. Admirateur de Velázquez, « le plus grand et le plus espagnol de tous les peintres » (L’École espagnole, 1869), il ne visite pourtant l’Espagne qu’en 1862 avec Paul de Saint Victor (1825-1867). Par ailleurs, Blanc a soutenu un autre projet consistant à diffuser la connaissance de l’art européen par la reproduction d’œuvres célèbres en petit format et en noir et blanc qui sont publiées, à partir de 1849, sous forme de deux livraisons de huit pages chaque mois, dans l’Histoire des peintres.
La mode est espagnole. Les Français découvrent l’éphémère musée espagnol du «roi des Français». À l’époque romantique, les écrivains français sont attirés par la production picturale espagnole dont ils peuvent, pour certains comme Mérimée, enfin connaître les originaux au Musée du Prado ouvert en 1819, ce qui conduit le journaliste et polémiste Louis Viardot à réclamer, dès 1834, la création d’un musée espagnol à Paris. Le roi Louis-Philippe envoie le baron Taylor (1789-1879) et le peintre Adrien Dauzats (1804-1868) en Espagne en 1835 afin d’acquérir pour « son compte personnel » un ensemble représentatif des peintures des Écoles de ce pays.
Le 7 janvier 1838, la Galerie espagnole est inaugurée au Musée du Louvre dans les salles de la Colonnade, et est « mise gracieusement à la disposition des Parisiens » par le roi. Elle « commence comme un conte de fées, elle se conclut, après à peine dix années, par une impitoyable dispersion à l’étranger. Voulue et permise par deux personnalités d’exception – un monarque très éclairé et un génial amateur-organisateur de l’époque romantique –, cette fameuse galerie cristallise tout ce que l’histoire du goût et des musées porte de nostalgies, de regrets, d’occasions manquées, de leçons et d’encouragements aussi. Comment imaginer un Louvre enrichi d’au moins 450 tableaux ibériques – même si quelques Italiens s’y glissaient incognito – du XVe au XVIIIe siècle ? Les chiffres peuvent aujourd’hui nous laisser pantois: 81 Zurbarán, 39 Murillo, 28 Ribera, 23 Cano, 19 Velázquez, sans compter des Morales, Herrera, Ribalta, Coello, Cajés et autres noms plus rares! » (Bruno Foucart, Tribune des Amis du Louvre, 2014).
La collection de Louis-Philippe a joué un rôle majeur dans l’histoire de l’art. Jeannine Baticle (2008), rappelle que « malheureusement la Révolution de 1848 qui détrône le roi Louis-Philippe et instaure la deuxième République, a pour conséquence, de restituer « stupidement » dira Baudelaire, la Galerie espagnole au roi déchu, qui l’emmène en Angleterre. Après sa mort, elle sera vendue à Londres en 1853 et deviendra en majeure partie la propriété de collectionneurs anglais. Un seul chef-d’œuvre était resté caché dans les réserves du Louvre, la magnifique Mise au tombeau de Hugreak, mais la peinture médiévale n’intéressait pas encore les Français. »
L’Espagne apparaît aussi au premier plan de l’actualité et notamment à cause de l’invasion napoléonienne. Le pays encourage l’itinéraire voyageur des Anglais, des Français, des Italiens et des Allemands. Tous viennent visiter cet Orient si proche. C’est la rencontre d’un exotisme à portée de main : Laborde et son Voyage pittoresque et historique d’Espagne (1806), François-René Chateaubriand, auteur du dernier Abencerage (1810) et d’Itinéraire de Paris à Jérusalem (1811), Washington Irving et ses Contes de l’Alhambra (1832), Richard Ford et son Manuel pour les voyageurs et les autres lecteurs (1858), Mérimée et Les Lettres d’Espagne (1831-1833), Thomas Roscoe, Le Touriste en Espagne et au Maroc (1851), Alexandre Dumas voyageant en Espagne en compagnie des peintres français Giraud et Desbarolles, rédige son Impression de voyage : de Paris à Cadix (1847-1848), Hans Christian Andersen En Espagne (1863) et le Baron de Davillier, L’’Espagne (1878), illustrée par Gustave Doré. Le Baron Taylor, artiste, homme de lettres mais également grand voyageur, connaît bien la Péninsule ibérique, qu’il parcourt avec Adrien Dauzats et publie Voyage pittoresque en Espagne (1826-1832).
Écrivains et peintres voyagent en Espagne en quête d’une civilisation rêvée, une sorte d’antiquité retrouvée comblant leurs aspirations. Cet engouement est indissociable d’une certaine nostalgie et de préjugés fondés sur l’histoire transformée par la légende et nourrie par le retard économique de l’Espagne.
C’est dans ce contexte que Charles Porion retourne en Espagne à de multiples occasions et qu’il y rencontre Théophile Gautier (1811-1872) qui devient l’un de ses plus fidèles soutiens. Sa Course de taureaux à Séville, exposée en 1846, permet au critique d’évoquer ses souvenirs chaleureux d’Andalousie (La Presse, 3 avril 1846) et signale Porion dans la phalange des « peintres cosmopolites ». L’auteur d’Émaux et camées et du Capitaine Fracasse possède deux esquisses de Porion dans sa collection. Il mentionne encore le peintre en 1852 devant Un Gitan et une Gitane du royaume de Valence et se félicite de voir les peintres « prendre la route de l’Espagne.»
En 1853, Théophile Gautier exprime le désir de constituer une "galerie spéciale où chaque peintre aurait son œuvre entier représenté de la sorte par de vives et fidèles copies ".
Plusieurs artistes chargés de missions font le voyage en Espagne. Ainsi, en 1860, Alexandre Colin (1798-1875) envoyé officiellement à Madrid pour copier Les Fileuses de Vélasquez (1657) exécute à la fois des copies officielles de grands formats et de plus petites destinées à la vente. Porion, lui aussi, devient une référence dans ce domaine qui exige de la rigueur.
Les copies exécutées par Colin et par Porion assurent alors la fonction de copies-souvenirs auprès des amateurs. Ainsi, Mérimée conserve une copie des Fileuses par Colin dans sa chambre et Théophile Gautier possède celles de Porion.
Par ses sujets, Charles Porion appartient à la veine des peintres dits des "costumbres" ou de style "romantico-espagnol " pour qui l’œuvre d’art doit constituer le reflet fidèle des coutumes et usages sociaux.
Le terme espagnol de costumbres, signifiant l'intérêt pour la représentation des coutumes et des mœurs (costumbres) typiques d'une région, représente une tendance importante de la littérature et de la peinture espagnoles à partir des années 1830. Cette mode trouve en partie son origine dans les bouleversements connus par l'Espagne depuis l'occupation napoléonienne. Les guerres de succession ont en effet entraîné un repli sur soi, un regard tourné vers l'intérieur sur les édifices aussi bien que sur les coutumes que découvrent alors avec passion les voyageurs étrangers.
En 1851, Porion peint Un Bon Andalou qui représente un noble Sévillan offrant une pièce à un mendiant. Le cavalier et sa monture richement harnachée occupent le centre de la composition et dominent le mendiant qui, guitare à la main, tend son chapeau pour recevoir l’aumône. L’épisode, bien qu’anecdotique, s’inspire directement de l’iconographie habituellement réservée à la légende de saint Martin offrant la moitié de sa cape à un mendiant. Porion peut ici combiner son goût pour l’Espagne et son talent reconnu pour la représentation des chevaux. L’œuvre est reproduite dans L’Illustration, sous le double titre de L’Aumône et Le Mendiant espagnol, associée à un texte de Maxime Vauvert en 1861.
Charle PORION (1814-1868), El Descanso (Moeurs à Valence), 1856, huile sur toile.
Dans le tableau bordelais, El Descanso, Porion utilise le champ lexical de l’Espagne : guitare, espadrilles, bonnet, tambourin, gourde, couverture et tissus, à rayures colorées, et rayons de soleil dans le patio sont dépeints avec précision. Le format hexagonal du cadre donne l’impression d’enfermer les personnages qui remplissent la composition. Il renforce le caractère intimiste de ce moment de repos du couple de paysans valenciens peint dans l’intérieur d’un patio.
Au premier plan, deux personnages assis sur le sol, l’un en face de l’autre forme la base de la composition triangulaire dominée en son sommet par une cruche. Une jeune femme espagnole, la tête inclinée observe un jeune guitariste sous l'œil d'un deuxième homme assis dont la silhouette claire se détache du fond sombre. La lumière zénithale se focalise sur le couple et met également en relief les quelques objets rustiques familiers. Le musicien allongé dans une attitude qui a quelque chose d’oriental par l’indolence de la pose, le bonnet qu’il porte et ses espadrilles, joue un air sur sa guitare, qui semble ravir la femme agenouillée devant lui, très attentive comme subjuguée. La cruche fait-elle allusion au thème de l’adultère comme cela peut être le cas dans la symbolique de certaines scènes de genre ? Ce qui pourrait être conforté par la présence de deux hommes dont l’un plus flou reste dans l’ombre.
Les jambes des deux personnages structurent un axe oblique passant par les deux visages, les cuisses forment une autre oblique, tandis que les bras et les dos mettent en place un jeu de lignes parallèles.
L’ensemble donne un peu de rythme à une œuvre plutôt statique. La retranscription des matières comme la chair, les tissus, la poterie, la pierre, puis la forme de la courbe de l’épaule et celle ovale du visage de l’Espagnole, la position des personnages correspondent au style ingresque de Porion, faisant écho aux célèbres tableaux, La Grande Odalisque (1814) et au Bain Turc (1862) de Jean-Auguste-Dominique Ingres.
Dans cette œuvre, comme dans les Danseurs grenadins, on retrouve une sorte d’ambigüité thématique et stylistique, c’est-à-dire quelque chose qui serait à la fois l’invention d’une nouvelle Arcadie, le reflet d’une réalité paysanne, anachronique, archaïque pour un peintre français, réalité qui l’aurait séduit, comme ce fut le cas pour Delacroix et le Maroc, parce que la Grèce antique apparaissait comme vivante en Espagne. Mais contrairement aux esquisses de Delacroix prises sur le vif, les toiles de Porion ne nous disent pas ce qu’il a réellement vu ou ce que son éducation artistique ingresque a modifié.
Le Second Empire sera pour lui synonyme de réussite, grâce à de nombreuses commandes de Napoléon III et de l’impératrice Eugénie. Il livre notamment une grande composition représentant l’empereur et le tsar Alexandre III dans une toile intitulée Les Souverains venus à Paris en 1867 pour l’Exposition universelle (aujourd’hui au château de Compiègne). Il réalise aussi plusieurs portraits, en buste ou équestres, du prince impérial Louis-Napoléon Bonaparte.