Louis Teyssandier : sa démarche artistique
Louis TEYSSANDIER n'a pas tenu de carnet. En revanche, on trouve dans les archives de la famille de l'artiste quelques réflexions qui permettent de mieux comprendre sa démarche artistique.
« Pour moi, tout a commencé le jour où j’ai compris qu’on pouvait peindre les choses qu’on ne voit pas »
« Je suis un inquiet; pourtant à certains moments la raison reprend le dessus et je retrouve la sérénité. Une sérénité que seule la peinture me donne. Il faut dire aussi que j’ai le sens des cailloux, de la terre, des plantes. Une façon de voir et de traduire ce que j’aime et ce que j’éprouve résulte d’un style de vie. Je garde les pieds enracinés au sol. J’ai besoin d’herbe.»
« La chance de Louis est d’avoir des parents ouverts à l’art et en mesure de le comprendre » dira Pierre PARET, critique d’art au Journal SUD-OUEST, catalogue de l’exposition, à Mérignac en 1982.
Son originalité s’exprime en premier lieu dans le cadre de son métier de chef décorateur du Grand Théâtre de BORDEAUX et parallèlement à partir de 1948 dans son œuvre peint.
Louis TEYSSANDIER explique ainsi sa réussite au concours des Arts Décoratifs : « J ‘ai probablement été reçu parce que je n’ai pas voulu dessiner quelque chose qui ait l’air d’avoir l’air… J’ai donné du bien bâti. Je voulais montrer de quelle façon je concevais la construction d’un volume. »
Il est sensible à l’enseignement d’Emile BERTIN : « Aux Arts Décos, j’ai trouvé ce côté artisan, cette façon de faire l’apprentissage du dessin… » dira-t-il. C’est un lieu où « le travail d’équipe n’étouffe pas les individualités (…) d’où cette excitation créatrice, stimulant de base pour les personnalités qui, ayant dépassé le stade artisanal, rêvent (…) d’imposer leur vision propre ».id. Pierre PARET
D’un tempérament autonome et indépendant, indifférent aux nouveaux mouvements, aux nouvelles tendances et aux mouvances picturales, il reste fidèle à lui-même, fidèle à ses visions intérieures, tel un découvreur de mondes.
Louis TEYSSANDIER cherche un moyen d'expression qui lui est personnel et inaugure une nouvelle technique en abandonnant l'huile sur toile et en mettant au point un système très complexe de peinture sur papier de belle qualité (Arches, Vergé) marouflé sur carton fort ou sur bois, ou sur des panneaux de contreplaqué parquetés à l’arrière, parfois très grands, qu’il fabrique lui-même et couvre d’une couche picturale épaisse et sableuse, souvent violemment scarifiée de stries, de traits porteurs de forces perceptibles.
Il fabrique lui-même ses couleurs, mélange pigments, , liants, plâtre, vernis, essence et sables de différentes granulométries (sélectionnés sur les rives des jalles et qu’il tamise comme un chercheur d’or) selon une alchimie très particulière.
Il a pour habitude de tester l’endurance de ses mélanges en exposant des échantillons dans son jardin face aux intempéries.
Il travaille sans croquis, sans dessin préparatoire et ses tableaux naissent lentement, au gré de son inspiration. « Je commence par mettre beaucoup de choses, et après, je passe mon temps à ôter pour ne plus garder que le coeur, le noyau. » Patience du chercheur d’or, travail de Sysiphe, chaque jour recommencé…
« Je peins régulièrement, mais lentement. Je n’ai pas une vocation de producteur.»
Au fil du temps, les formes essentielles apparaissent de plus en plus simples, dépouillées.
Le couteau et plus souvent la brosse épaisse organisent la surface en zones claires ou sombres, aux nuances rares.
Car la couleur est pour Louis TEYSSANDIER indissociable de la forme. Il travaille et mélange ses pigments avec la matière épaisse et dense qu’il appose en touches nettes et précises, tantôt dans des harmonies douces ou veloutées, jouant sur les nuances de gris, de bistre, d’ocre ou de terre de Sienne, tantôt dans un éclatement de tonalités vibrantes de rouges différents mais intenses, de jaunes ensoleillés ou citrins, d’oranges flamboyants, de bleus grisés, cyan, de Prusse ou outremer, de verts amortis, de violets d’améthyste parfois... Et bien sûr les noirs profonds et les blancs purs, Yin et Yang qui font partie intégrante de sa palette.
« Au fil du temps, ses formes s’épuraient et leur mariage avec la couleur s'affinait dans un poétique dialogue. En bon artisan qui, d' expérience en expérience, acquiert le tour de main, Louis Teyssandier utilisait le sable avec de plus en plus d'audace, faisant apparaître des constellations d' étoiles ou des évolutions minérales, végétales, florales (…) Et ses couleurs personnelles, soigneusement et amoureusement élaborées dans le secret de son atelier, se mettaient au service du trait pour susciter le rêve, l'introspection parfois ... » Pierre BRANA dans le catalogue de l’exposition d’Eysines en 2014.
A l’exception de ses débuts figuratifs, l’intemporalité prédomine. En majorité ni titrées ni datées, ses peintures suivent le cheminement de sa recherche plastique tournée vers une infinité de variations sur le thème de l’immensité cosmique au travers d’allusions animales (oiseau), végétales (feuilles nervurées, tiges et fleurs) ou géométriques, comme par exemple le triangle, le cercle, vide, plein ou demi-plein (terre, lune, planète lointaine ) qui sont toujours présents dans ses tableaux. Il fait surgir « des planètes désolées, des univers silencieux, minéralisés ou fossilisés, des décors d'un monde de science-fiction. » Pierre BRANA
Ses proches connaissent les influences qui ont modelé sa personnalité d’artiste : la Bible qu’il lisait et relisait, et sa fascination pour la philosophie des sages orientaux (issue de ses voyages en Asie).
Sagesse et équilibre sont définis et condensés dans le disque noir et blanc que Bouddha tient dans sa main droite et que l’on retrouve dans nombre de ses tableaux de la période végétale, où le noir et le blanc se confrontent, s’opposent, mais se complètent.
« Dans l’univers, tout est équilibré. Le ciel est équilibré par la terre, le soleil par la lune, l’homme par la femme, l’eau par le feu… Rien n’existe sans le contraire de soi-même. » Bouddha
C’est certainement une des clés pour la compréhension de l’oeuvre de Louis TEYSSANDIER .
Le dépouillement, la légèreté et la délicatesse qui émanent de son œuvre sont paradoxalement en symbiose avec les éléments organiques qu’il pose sur ses toiles : ses créations abstraites dégagent une impression de silence et de sérénité, une étrange et indéniable poésie, avec cependant les sensations tactiles d'une matière sourde et vibrante, présente et concrète.
« Il est d'usage de « classer» Louis Teyssandier parmi les peintres abstraits, Pierre Paret qui a beaucoup et excellemment écrit sur son travail le considérait même, avec un autre bordelais, Marcel Pistre, comme un des trente meilleurs peintres abstraits français. » id. Pierre BRANA
Mais il est en fait difficile de le classer ainsi au vu des nombreux tableaux qui comportent des éléments figuratifs. D’ailleurs, pourquoi tenter de l’enfermer dans une case ?
Son œuvre relève d’un autre langage, éminemment personnel, d’où jaillit un surgissement des formes, à la fois expressionniste et lyrique, rigoureux sans rigidité, toujours unifié par son rapport aux quatre éléments.
« Louis Teyssandier est pour tous, un grand, un très grand peintre, sensible et réservé, à l'indéniable poésie. Un découvreur de mondes, à l'intérieur de chacun de nous, ou dans le cosmos infini. » id. Pierre BRANA
Catherine Couralet
Galerie du Palais Gallien, Bordeaux