Marguerite GÉRARD, figure de l’émancipation féminine
Marguerite Gérard (1761-1837) est une des artistes peintres les plus influentes du 18e siècle. Elle est présentée dans l’exposition Elles sortent de leur(s) réserve(s). Artistes femmes de la collection grâce à Portraits supposés de Mesdames Tallien et Récamier, œuvre achetée par la Ville de Bordeaux en 1858.
Marguerite GÉRARD (1761-1837)
Portraits supposés de Mesdames Tallien et Récamier
19e siècle
Huile sur toile
55 x 44,5 cm
Ancienne collection de Bertrand Monsau
Achat de la Ville, 1858
Une artiste
Début de carrière
Cadette d’une fratrie de sept enfants, Marguerite Gérard est née à Grasse en 1761. En 1775, la jeune fille a 14 ans lorsqu’elle déménage chez sa sœur Marie-Anne Gérard et son époux Jean-Honoré Fragonard, alors installés dans un appartement-atelier au Louvre à Paris.
Artiste renommé, Fragonard forme sa belle-sœur. Elle est d’abord son élève, puis devient son assistante. Devant les progrès rapides de sa jeune disciple, le célèbre peintre décide d’en faire sa collaboratrice. Toutefois, la jeune femme veut s’émanciper et se faire un nom. Convaincu de son talent et de sa détermination, son beau-frère l’introduit au sein de son cercle de commanditaires pour lesquels elle réalise des portraits. Elle s’impose ainsi dans ce genre et bénéficie d’une brillante réputation de portraitiste dans le Tout-Paris.
Techniques et thèmes
Rare femme de son époque à pratiquer la peinture de genre, l'artiste excelle dans le traitement de l’ombre et la lumière, des reflets et de la représentation des corps. Son travail se distingue par sa technique, la douceur et l’esthétique des sujets qu’elle représente, mais aussi par l’aspect pratique de ses petites peintures portatives, préférées aux grands tableaux d’Histoire par les riches collectionneurs. Remarquables par la qualité de leur facture, ses œuvres seront parfois comparées à celles des maîtres hollandais.
Dans ses peintures, Marguerite Gérard aime représenter l’intimité du foyer, la maternité et l'enfance, ainsi que les animaux domestiques. Elle porte aussi beaucoup d’intérêt à la musique, l’amour et à l'amitié féminine. L’artiste ne représente d’ailleurs que très peu la figure masculine, son œuvre est construit à travers l’image d’un monde essentiellement féminin. Parmi les nombreuses scènes de genre signées par l’artiste, certaines constituent de véritables chefs-d’œuvre de virtuosité, comme La Liseuse, Le Petit Messager ou encore L'Heureux Ménage.
Succès et émancipation
Contrairement à un grand nombre de femmes artistes de sa génération, Marguerite Gérard confie ses œuvres à deux des marchands d’art les plus éminents des années 1780, Jean Dubois et Goury de Champgrand. Grâce à ce réseau et à sa présence sur le marché de l’estampe, elle réussit à s’imposer artistiquement et financièrement parmi artistes les plus célèbres de l’époque. Entre 1799 et 1824, Marguerite Gérard expose régulièrement dans des salons renommés et remporte plusieurs médailles pour ses scènes de genre. Elle sera ainsi remarquée par les puissantes personnalités politiques de l’époque, comme l’empereur Napoléon Ier et le cardinal Joseph Fesch (oncle de Napoléon Bonaparte) qui acquièrent quelques-uns de ses chefs-d’œuvre.
Éprise de liberté, cette femme indépendante consacre le reste de sa vie à son art et à sa carrière. Marguerite Gérard, figure de l’émancipation féminine, fait partie de ces femmes artistes du 18e-19e siècle dont la personnalité et le grand talent artistique sont peu à peu remis en lumière.
Zoom sur Portraits supposés de Mesdames Tallien et Récamier
Peu connue, cette huile sur toile présente une scène intimiste d’amitié dans laquelle les supposées Juliette Récamier (1777-1849) et Thérèsa Tallien (1773-1835), femmes influentes de l’époque, partagent un moment de lecture. Comme à son habitude, l’artiste met en valeur les personnages par un contraste entre l’ombre et la lumière. Les deux jeunes femmes se détachent sur un fond sombre, attirant ainsi le regard du spectateur.
Femmes de pouvoir, Juliette Récamier et Thérèsa Tallien sont célèbres pour leur engagement politique, leur intelligence et vivacité d’esprit. Thérèsa Tallien a pris position en faveur de la Révolution française à Bordeaux. Surnommée “l’ange de Bordeaux” ou “Notre-Dame du Bon Secours” après avoir été arrêtée, elle réussit à épargner la vie de la veuve d’un Girondin guillotiné. De son côté, décrite comme mystérieuse, troublante et d’une parfaite beauté, Madame Récamier réunit dans son salon la brillante société parisienne composée par les artistes, écrivains et hommes politiques les plus influents. Sa beauté fait d’elle un modèle prisé des peintres, dessinateurs et graveurs de l’époque. Elle se lie d’amitié avec Madame de Staël et devient ainsi une figure de l'opposition au régime de Napoléon.
Marguerite Gérard réussit le pari de représenter des femmes qui font figure d’autorité, d’élégance et d’intelligence éclairée, dans une scène d’amitié empreinte d’une douce complicité féminine.