Restauration du tableau de Pierre Paul Rubens, l'Enlèvement de Ganymède

La restauration du tableau de « L’enlèvement de Ganymède » de Pierre Paul Rubens, par Françoise et Christian Morin.

 
Derrière les murs du musée sur lesquels sont accrochées les œuvres, des femmes et des hommes organisent, préparent, font des recherches ou restaurent. Différents métiers s’exercent dans les « coulisses » du musée.
 
Découvrons aujourd’hui la restauration de l’œuvre de Pierre Paul Rubens, « L’enlèvement de Ganymède », huile sur toile, 17e siècle, 232,2 x 232,1 cm, inv. Bx E 138, musée des Beaux-arts restaurée par Françoise et Christian Morin en 2018.
 
 
Les conservateurs-restaurateurs Françoise et Christian Morin ont tout d’abord été préoccupés par les problèmes de support de ce grand tableau de Rubens.
 
L’œuvre a anciennement été rentoilée lors d’une intervention de restauration passée, c’est-à-dire fixée sur une toile neuve afin de renforcer la toile originale devenue trop faible. Avec le temps, l’adhésion du rentoilage n’était plus bonne nécessitant une nouvelle intervention.
 
Toute restauration a en effet une « durée de vie ». C’est pour cela que, selon la déontologie appliquée par la profession, chaque restauration a un objectif de réversibilité : si l’œuvre doit être de nouveau restaurée après plusieurs années, les anciens éléments comme un rentoilage par exemple peuvent être retirés sans dommages. Ce principe exige une bonne documentation de chaque intervention, précieusement conservée par le musée.
 
Après les opérations sur le support et celles de consolidation, c’est sur la couche picturale que se sont concentrés Françoise et Christian, sous éclairage ultra-violet d’abord pour mieux percevoir le vernis jauni, puis avec un minutieux travail de retouche pour retrouver l’harmonie générale de la peinture.
 
Françoise et Christian Morin sont installés à Bergerac en Dordogne. C’est à quatre mains qu’ils travaillent pour les musées de France et les monuments historiques depuis plus de vingt ans.
 
         
 

Le mot des restaurateurs :

 
Eté 2018, pas de vacances au programme. Une sorte de confinement avant l’heure, mais volontaire celui là, voulu même, et puis le soir après le travail, tout est ouvert, bar, restaurant, spectacle, musique sur le port de Bergerac, bref, ne confondons pas avec 2020.
 
Le tableau de Rubens, l’Enlèvement de Ganymède, doit partir en exposition en septembre, il y a donc une date butoir et si nous n’étions pas bloqués tout l’été à la maison, nous n’aurions jamais accepté ce travail.  Mon conjoint et moi travaillons l’un après l’autre sur les œuvres à l’atelier, Christian prend en charge toutes les interventions liées à la structure - ancienne transposition/ rentoilage, refixage des soulèvements, reprise des déformations, consolidation, déchirures, mise en tension de la toile – et je m’occupe des interventions esthétiques – nettoyage chimique, enlèvement des anciens vernis et anciennes retouches, vernissage et retouche. 
 
 
Dans le passé, le tableau a déjà fait l’objet de plusieurs campagnes de restauration, preuve d’une fragilité certaine, indice également de la complexité de l’intervention à venir tant sur les problèmes de conservation que sur les aspects esthétiques. 
 
Parmi la documentation graphique de l’œuvre, trois sources retiennent notre attention : une gravure de B.L Henriquez datée de 1786, la photographie d’une autre version de la composition d’origine, conservée au Palais Schwarzenberg de Vienne, et une photo de notre tableau datant d’avant la dernière restauration, photo publiée dans « Tout Rubens 1597-1622 » édition Flammarion. 
 
Au début de l’été, tous les problèmes d’adhésions sont résolus, le tableau est plat, il est monté sur une structure, il est pour moi. Le travail de nettoyage commence. 
C’est le moment des hypothèses. Toutes les données doivent se recouper entre elles : les observations en éclairage ultraviolet, les tests de nettoyages chimiques, les observations à la loupe binoculaire. C’est un moment où toutes les pistes peuvent être suivies, c’est aussi le moment clef où se prennent les décisions importantes. Il faut détricoter le vrai du faux, l’original des retouches. C’est le moment où je transpire, celui où le regard extérieur est important car, à passer des heures à regarder quelques centimètres carrés on ne voit plus rien. L’échange entre nous deux est un atout, il permet de poser calmement les différents arguments. 
 
 
Au fur et à mesure des tests, au bout d’un temps variable, une réalité émerge. Je commence à comprendre la matière picturale. Comprendre la forme des interventions anciennes. 
Les repeints qui masquaient la peinture sont très nombreux, parfois circonscrits à une zone, couvrant complètement la peinture sous jacente ; parfois évanescents, comme transparents, faits de jutages successifs et dans ce cas, la distinction entre le repeint et l’original ne tient qu’à une nette différence de solubilité.
Sur certaines zones les deux sont présents. Une lacune - restaurée largement - son élimination faite, je m’aperçois qu’un plus ancien repeint cache la couche picturale. 
Sous les repeints qui recouvraient les carnations de Ganymède je redécouvre la couche picturale d’origine, la magnifique peinture de Rubens faite de couches fines, vibrantes, toutes en finesse.
 
  
 
La petite scène en haut à gauche de la composition est également un exemple de la complexité du nettoyage. Certains repeints seront conservés, trop dangereux à enlever. Tant pis. Il faudra les maquiller. Il faut savoir arrêter un nettoyage, de plus il est impératif de respecter le temps d’évaporation des solvants avant de revernir le tableau.
Suivront la retouche et le repiquage, le remontage sur son châssis et dans son cadre…. Le voici dans sa caisse pour partir en exposition. Nous l’aurions bien gardé encore un peu sur un mur de l’atelier.
 
Françoise et Christian Morin, 2020
 
  
 
 
Restauration de <i>L'Enlèvement de Ganymède</i> de Rubens

Restauration de L'Enlèvement de Ganymède de Rubens