Henri-Horace ROLAND DE LA PORTE, "Nature morte à la vielle"
(Paris, 1724-1793)
Nature morte à la vielle
Vers 1760
Huile sur toile.
Hauteur 80,5 cm. Largeur 101 cm.
Historique : Ancienne collection Belay, 1872 ; ancienne collection Gardère ; legs de Théodore Gardère, 1903.
Sur une table en bois, apparaissent un instrument de musique ancien (la vielle à roue), mais aussi un bocal de pêches au sirop, une partition, deux dés et un cornet placés devant une boite en laque de Chine sur laquelle repose une assiette de raisins et de poires. Dans la pénombre de l’arrière-plan, une étagère murale porte des livres et des étoffes.
Les premières natures mortes aux instruments de musique apparurent dès la seconde moitié du 15e siècle, sur des trompe-l’œil en intarsia ornant les portes des studioli d’Udine (vers 1472), de Mantoue (1505) ou de Monte Oliveto Maggeiore (1503-1505). Elles connurent dès lors une diffusion européenne.
La représentation d’instruments musicaux a longtemps concerné le domaine religieux avec, en particulier, les concerts d’anges vénérant la Nativité, une Madone, ou sainte Cécile. Elle gagna ensuite les cours d’Italie du Nord, dans des scènes de concert individuel ou collectif (Titien, Concert champêtre, 1510-1511, Paris, Louvre) avant de s’étendre au reste de l’Europe au 17ème siècle. Symbole de l’Ouïe, l’instrument de musique accompagnait certaines allégories ou devenait le symbole des vanités de ce monde.
La nature morte bordelaise célèbre les plaisirs de la vie : le goût du jeu (le cornet et les dés), les délices de la table (le bocal de pêches, les raisins et les poires) et la musique (la vielle). Mais derrière cette évidence, se dissimulent des allusions philosophiques sur la brièveté de la vie et la limite du savoir avec la partition froissée.
Sur cette dernière, la notation reviendrait peut-être au compositeur Jean-Marie Lemaire qui fut poignardé à son domicile parisien le 23 octobre 1764. D’après Olivier Le Bihan, cette éventuelle attribution donne à la nature morte la dimension symbolique d’un memento mori (« Souviens toi que tu mourras »).
Elève de Jean-Baptiste Oudry (1686-1755), Roland de La Porte fut reçu à l’Académie le 26 novembre 1763 avec Vase de lapis, sphère et musette (1763, Paris, musée du Louvre). S’il étendit son talent au portrait, Roland de La Porte assit sa réputation sur ses natures mortes qu’il signait rarement. Il est décrit souvent comme un « imitateur » de Chardin, voire sa « victime » selon Diderot (Salon de 1765). L’influence du maître est certes indéniable mais la dimension décorative l’emporte sur une méditation. Tout comme Jeaurat de Bertry (1728-v. 1796), Roland de La Porte ne faisait que reprendre un style et une esthétique qui lui assurait faveur auprès des commanditaires (marquis de Marigny) et des collectionneurs (La Live de Jully).
Avant tout, cette nature morte est caractéristique du soin que portait l’artiste à la répartition de la lumière et de la couleur. Son traitement illusionniste de la profondeur et sa précision dans le rendu des objets le démarquent en fait de Chardin. En revanche, il se rapproche du maître par la dimension intimiste de l’image et par le rendu des matières, jouant sur la rugosité ou le poli, la brillance ou la matité, la simplicité ou la préciosité des surfaces et des matières, à l’exemple de la vielle à roue.